20/10/2005

Mon chien Stupide

Un roman de John Fante (1909/1983)Fils d’immigrant italien né en 1909 il commence très jeune à écrire notamment pour le magazine « American Mercury » dirigé par H.L.Mencken avec qui il se liera vite d’amitié. En 1933 son premier roman « La route de Los Angeles » a du mal à se faire éditer, et ce n’est que 5 ans plus tard que sortira « Bandini ». De 35 à 66 il travaille à l’écriture de scénarii à Hollywood. Dans ses romans on retrouve souvent sa propre histoire d’immigré italien, ses vagabondages à Hollywood , sa famille…la difficulté de l’écriture.
Mon chien stupide raconte l’histoire d’un scénariste qui découvre un soir d’orage un chien énorme couché sur sa pelouse. La famille horrifiée par ce chien dégoûtant presse le narrateur de s’en débarrasser le plus tôt possible. Mais l’homme va se découvrir une passion soudaine pour le chien.Un livre cynique, drôle et ironique.
Extrait :« Aussitôt mon cœur s’est emballé, et j’ai compris que cet affrontement était ma seule raison d’amener Stupide à la plage. J’ai regardé Jamie. Son visage était congestionné, ses yeux scintillaient. Le seul de nous trois qui n’était pas conscient de la menace imminente était Stupide. Apparemment, son odorat était aussi médiocre que sa vue, car il plastronnait sans voir Rommel, sa grande langue battant ses babines, un sourire béat sur son visage d’ours.Rommel avançait d’un pas furtif et menaçant, la queue tendue à l’horizontale, le poil légèrement hérissé. Brusquement, il a lâché un grognement terrifiant qui a mis fin aux jappements et autres aboiements le long de la rue. Le roi avait parlé, un silence angoissé régnait. Stupide a dressé les oreilles quand ses yeux ont découvert Rommel à trente mètres devant lui. Il a bondi en avant pour nous faire lâcher son collier, et nous l’avons retenu quelques secondes avant de le libérer. Il ne s’est pas accroupi comme son rival teuton. Non, il a marché vers la bataille la tête haute, le panache de sa queue fournie oscillant comme un drapeau au-dessus de son arrière train.J’ai eu l’impression d’assister à un duel dans l’Ouest sauvage. Jamie léchait ses lèvres. Mon cœur battait la chamade. Nous nous sommes arrêtés pour regarder.Rommel a frappé le premier, enfonçant profondément ses crocs dans la fourrure de la gorge de Stupide. Autant mordre un matelas. Stupide s’est libéré, dressé sur ses pattes arrière, tel un ours, utilisant ses pattes avant pour tenir le Teuton à distance. Rommel aussi s’est dressé sur ses pattes arrières ; gueule contre gueule, ils ont essayé de se mordre[…]Il a frappé plusieurs fois , mais sans pouvoir s’accrocher. A ma grande surprise, Stupide ne mordait pas. Il grondait, ses mâchoires claquaient, il rugissait pour égaler les rugissements de Rommel, mais de toute évidence il voulait seulement se battre, et pas tuer. Il était de la même taille que Rommel, mais son poitrail était plus puissant et ses pattes frappaient comme des massues.Après une demi-douzaine de charges, le match nul semblait inévitable, et il y eu une pause momentanée dont les chiens ont profité pour se jauger. L’alerte Rommel était immobile comme une statue tandis que Stupide s’approchait de lui et commençait à décrire des cercles autour du berger allemand. Rommel observait cette manœuvre d’un air soupçonneux, les oreilles dressées. Selon toutes les règles du combat de chiens classique, on aurait dû s’en tenir à un match nul, les deux animaux regagnant leurs pénates respectifs avec leur honneur intact.Mais pas Stupide. Vers la fin du deuxième cercle, il a soudain levé ses pattes vers le dos de Rommel. Touché ! C’était un coup fantastique, sans précédent, osé, humiliant et si peu orthodoxe que Rommel s’est figé sur place, incrédule. On eût dit que Stupide préférait batifoler plutôt que lutter ; ça a jeté Rommel, ce noble chien qui croyait au fair-play, dans une confusion terrible.Alors Stupide a révélé son but incroyable : il a dégainé son glaive orange en bondissant sur le dos de Rommel ; tel un ours, il a immobilisé Rommel de ses quatre pattes puissantes, puis entrepris de mettre son glaive au chaud. Quelle finesse ! Quelle astuce ! J’étais enchanté. Dieu quel chien !Grondant de dégoût, Rommel se débattait pour échapper à cet assaut obscène, son cou se tordait pour atteindre la gorge de Stupide, son arrière train se plaquait au sol pour échapper aux coups de glaive. Il savait maintenant que son adversaire était un monstre pervers à l’esprit dépravé, et il se tordait en tous sens avec l’énergie du désespoir. Enfin libre, il s’est éloigné furtivement, la queue basse pour protéger ses parties. Stupide gambadait autour de lui pendant que Rommel battait en retraite vers sa pelouse où il s’est couché en montrant les crocs. Il y avait de l’écœurement et du dégoût dans le gémissement qui est monté de sa gorge : il ne voulait plus entendre parler de cet adversaire révoltant, trop répugnant pour qu’on l’attaque.Il était battu, écrasé. Il avait jeté l’éponge.« Bon dieu ! » j’ai fait en m’agenouillant pour serrer le cou de Stupide entre mes bras.« Oh Jamie ! Tu as vu un peu notre Stupide ! »Jamie avait saisi son collier.« Eloignons le avant que ça ne recommence. »« ca ne recommencera jamais. Rommel est fini, ratiboisé. Regarde-le ! »Rommel remontait l’allée de Kunz vers le garage, la queue entre les jambes.« Partons », a dit Jamie.« On le garde. »« Impossible. Tu as promis à maman. »« C’est mon chien, ma maison, ma décision. »« Mais il n’est pas à toi »« Il le sera. »« C’est une source d’ennuis. Il est cinglé. »« C’est un grand lutteur. Il gagne sans donner le moindre coup à son adversaire. »« C’est pas un lutteur, Papa. C’est un violeur. »« On le garde »« Dis moi pourquoi. »« Je ne suis pas obligé de tout te dire ». »

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